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Doit-on remettre en question Michel Foucault ? Analyse critique de son manuscrit inédit Les Hermaphrodites

Doit-on remettre en question Michel Foucault ? Analyse critique de son manuscrit inédit Les Hermaphrodites

Une publication posthume qui ranime les discussions

Gallimard vient de sortir un manuscrit inédit de Michel Foucault, élaboré entre 1975 et 1979, initialement prévu pour enrichir les futurs tomes de son Histoire de la sexualité. Ce texte de 160 pages, sans titre original, a été découvert dans les archives personnelles du philosophe, stockées à la Bibliothèque nationale de France depuis 2013. Intitulé Les Hermaphrodites, il explore comment, dès le XIXe siècle, les individus qualifiés d’« hermaphrodites » ont été soumis à une stricte assignation sexuelle. Cependant, cette analyse reste ancrée dans un cadre binaire du genre, une vision que les luttes intersexes et queer remettent depuis longtemps en cause.

Un titre contestable pour une époque en mutation

Le choix du titre Les Hermaphrodites est controversé en 2025, une époque où les personnes concernées expriment elles-mêmes leur vécu et leur résistance, et rejettent de plus en plus une terminologie historiquement stigmatisante. Une question se pose : Michel Foucault aurait-il donné ce titre à son manuscrit si la publication avait lieu aujourd’hui, à une époque où les identités de genre non binaires subissent une criminalisation croissante dans certains pays comme les États-Unis, la Hongrie ou le Royaume-Uni ? Un tel intitulé peut sembler essentialiser une catégorie sans prendre en compte les subjectivités et luttes contemporaines.

Quand les experts dominent la parole des concernés

Arianna Sforzini, philosophe et psychanalyste, signe la préface de cette publication sous le titre Le Chantier hermaphrodite. Une démarche qui perpétue une tradition problématique : celle où la parole des personnes concernées est cadrée, voire effacée, par celle d’experts médicaux, psychanalystes ou philosophes. En 1993 déjà, Cheryl Chase, figure centrale de l’activisme intersexe, publiait Hermaphrodites With Attitude, un texte fondateur qui dénonçait le vocabulaire stigmatisant et la violence des traitements chirurgicaux imposés sans consentement.

La violence symbolique de la classification

Cheryl Chase comparait la terminologie médicale à une violence semblable à celle des interventions physiques : « La classification coupe le corps et détruit la subjectivité. » Cette critique s’accorde avec celle du texte de Foucault. En effet, son texte documente le passage d’un régime où l’on pouvait choisir son sexe (« sexe de décision ») à un système où l’examen médical impose une vérité anatomique (« sexe de vérification »), réduisant les sujets à des objets de savoirs normatifs. Ce glissement historique, tel que présenté par Foucault, s’appuie sur des études de cas qui reproduisent une forme de violence symbolique par leur approche objectivante.

Une production discursive au service du pouvoir

Le philosophe illustre ce changement à travers le Traité des hermaphrodites de Jacques Duval, publié en 1612, où le médecin revendique le droit de définir le « vrai sexe » d’une personne sans tenir compte de son avis. Ce type de discours médical ne se contente pas de décrire un corps : il le construit symboliquement en tant qu’altérité, comme une déviation à corriger. Ainsi, ce que Foucault décrit comme un phénomène historique peut contribuer à prolonger un regard pathologisant sur les identités non binaires.

Le cas Barbin : une réappropriation discutée

La publication par Foucault en 1978 des Mémoires d’Herculine Barbin soulève d’autres tensions. Le texte avait déjà été édité par des médecins, dont Auguste-Ambroise Tardieu, bien avant que Foucault n’y ajoute son interprétation personnelle. Eric Fassin souligne que, en nommant l’ouvrage Herculine Barbin, dite Alexina B., Foucault participe à la fixation d’une identité féminine, projetant sa propre interprétation sur la liberté sexuelle de Barbin. Cette intervention éditoriale efface la complexité du vécu de l’auteure, tout en renforçant le système binaire qu’il prétend interroger.

Une pensée critique qui reproduit l’altérisation

Le paradoxe réside dans le fait qu’en dénonçant les mécanismes de pouvoir et de savoir, Foucault participe également à la construction d’une figure de l’hermaphrodite comme radicalement autre. En se réappropriant ces récits et en fixant les identités à travers sa propre interprétation, il contribue à la reproduction du système qu’il critique. Ainsi, loin de libérer les voix marginalisées, sa démarche peut apparaître comme une forme de confiscation intellectuelle.

Débinariser Foucault : une exigence moderne

Face à l’affirmation de Foucault selon laquelle « la fin du XIXe siècle a été fortement hantée par le thème de l’hermaphrodite », Paul B. Preciado réplique que nos vies, qui ne sont pas de simples « thèmes », continuent d’être hantées par le regard binaire appliqué à nos corps. À l’heure où les discours binaires continuent de légitimer des violences concrètes, débinariser Foucault devient un impératif politique et critique. Il ne s’agit pas de rejeter son œuvre, mais de la réexaminer à la lumière des voix qu’elle a longtemps marginalisées.

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