Aller au contenu
Accueil » Blog » Le Troisième Sexe (1957) : Le cinéma allemand des années 50 abordait l’inquiétude gay

Le Troisième Sexe (1957) : Le cinéma allemand des années 50 abordait l’inquiétude gay

Le Troisième Sexe (1957) : Le cinéma allemand des années 50 abordait l'inquiétude gay

Le Troisième Sexe (1957) : Un film révélateur

Dans le contexte de l’après-guerre, alors que l’Europe s’efforce de renaître aussi bien sur le plan politique que social et moral, certains films exposent, parfois à leur insu, les angoisses collectives de l’époque. Le Troisième Sexe, réalisé en 1957 par Veit Harlan, s’inscrit parmi ces œuvres paradoxales. Conçu comme un avertissement contre l’homosexualité, il met en lumière — malgré lui — les failles d’une société préoccupée par la normalité et redoutant la différence.

Considéré comme un des films emblématiques de la panique morale face à l’homosexualité dans l’Allemagne d’après-guerre, Le Troisième Sexe est, avec le recul, une œuvre historique essentielle pour comprendre ce que signifiait être gay dans une société marquée par la répression et le silence.

Contexte politique : l’ombre du paragraphe 175

Pour saisir la portée du film, il est crucial de considérer le paragraphe 175, la loi réprimant les relations homosexuelles masculines en Allemagne. Ce texte, renforcé par les nazis et maintenu après la guerre, instille un climat d’angoisse au sein de la communauté gay.

En 1957, année de sortie du film,

  • les hommes gays risquaient encore la prison,
  • la police infiltrant les bars gays,
  • l’homosexualité était stigmatisée comme déviante,
  • la société la percevant comme une menace sociale.

Le film de Veit Harlan s’aligne sur cette logique : présenté comme un récit édifiant destiné à « protéger » la jeunesse des périls de l’homosexualité, il dévoile en réalité l’obsession de la société pour contrôler la sexualité et les comportements masculins.

L’histoire : un adolescent face à un milieu jugé dangereux

Le film retrace l’histoire de Klaus, un lycéen qui s’écarte des codes de la virilité traditionnelle, se rapprochant d’un groupe d’hommes cultivés et artistes, un cercle perçu comme homosexuel.

Son père, alarmé, intervient pour « le sauver », estimant que son fils doit être ramené vers un modèle masculin hétérosexuel, autoritaire et sûr de lui.

L’intrigue repose sur trois axes dramatiques majeurs :

La peur du “recrutement” homosexuel

Le film suggère que les hommes gays séduisent les jeunes pour les convertir, un message reflétant les discours moralisateurs des années 1950.

La masculinité comme performance sociale

Le père s’efforce de rendre Klaus « plus homme », comme si la masculinité pouvait s’apprendre et se jouer.

L’angoisse bourgeoise face à l’ambiguïté sexuelle

Le monde artistique y est perçu comme immoral et trop libre, illustrant l’obsession bourgeoise pour le contrôle et l’ordre.

Pourquoi ce film est important pour l’histoire LGBTQIA+

Malgré ses stéréotypes et sa représentation négative de l’homosexualité, Le Troisième Sexe constitue un document historique précieux pour plusieurs raisons.

Un témoignage de la panique morale

Le film montre la peur du non-conformisme sexuel, encouragée par un conservatisme omniprésent après-guerre.

Une représentation involontairement queer

Malgré ses intentions, certains personnages apparaissent plus libres et sophistiqués. Ce paradoxe attire un regard queer critique qui reconsidère le film.

Un cinéma influençant l’opinion publique

Ces films participaient à justifier la répression, dépeignant l’homosexualité comme une menace. Le recul permet de comprendre comment se construisait culturellement le discours anti-LGBTQ+.

Le cas Veit Harlan : un réalisateur controversé

Veit Harlan, célèbre pour sa propagande nazie, dont Jud Süß (1940), tente de relancer sa carrière après la guerre. Le Troisième Sexe s’inscrit dans cette tentative de réinvention, piégé par une vision conservatrice du monde.

Le film reste marqué par :

  • un discours moraliste,
  • un souci de pureté,
  • une peur du désordre social.

Autant d’éléments faisant de l’œuvre un reflet des mentalités rigides de l’époque.

Réception et polémique : un film modifié par la censure

Le Troisième Sexe suscite un débat vif en Allemagne de l’Ouest à sa sortie.

Des scènes jugées trop favorables envers les personnages homosexuels sont censurées pour éviter qu’elles suscitent de la sympathie.

Ce paradoxe est révélateur :

Même les œuvres critiquant l’homosexualité devaient être attentivement surveillées, tant la simple visibilité était redoutée.

Lecture moderne : un film illustrant les peurs

Actuellement, Le Troisième Sexe est perçu comme une œuvre :

  • hétéro-normative et anxiogène,
  • involontairement queer,
  • représentative d’une société incapable de comprendre l’homosexualité.

Ce n’est pas une œuvre progressiste ou militante.

Ce film essentiel permet de comprendre :

  • comment on représentait l’homosexualité comme une menace,
  • la stigmatisation des hommes gays,
  • l’utilisation de la famille pour maintenir l’ordre moral,
  • et la construction d’un discours anti-LGBTQ+ dans un cadre bourgeois respectueux.

Conclusion : une capsule temporelle révélatrice

Le Troisième Sexe demeure un film dérangeant, parfois absurde, mais souvent éclairant.

Il propose un aperçu de la construction sociale de l’homophobie des années 1950, des stratégies pour contrôler la jeunesse et du rôle du cinéma dans le maintien d’un ordre social conservateur.

Pour les historiens, critiques et spectateurs queer, il constitue un document indispensable pour appréhender — sans détour — les peurs, préjugés et tensions d’une société face à la diversité sexuelle.

Explorez plus avant le cinéma queer dans notre sélection complète d’analyses et critiques pour revivre l’histoire LGBTQIA+ à travers le prisme de réalisateurs et films marquants chaque époque.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

fr_FRFrench