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La Littérature Lesbienne en France

littérature lesbienne en France

Panorama de la littérature lesbienne contemporaine en France au XXI siècle

Depuis le tournant des années 2000, la littérature lesbienne française connaît un essor sans précédent. Cette vitalité nouvelle se manifeste autant dans la diversité des récits que dans la pluralité des voix et des formes d’écriture. Autofictions, romans poétiques, chroniques sociales, récits politiques ou fables dystopiques : les autrices explorent toutes les dimensions du réel et de l’intime.
Leur écriture, à la fois incarnée et réflexive, déconstruit les représentations du féminin, interroge la place du corps et du désir, et réinvente les contours du politique à travers la subjectivité.
Ce panorama se propose de dresser un état des lieux complet de cette littérature foisonnante, en s’appuyant sur un ensemble d’œuvres publiées depuis l’an 2000, issues d’un corpus qui témoigne de la richesse et de la variété des expressions lesbiennes contemporaines.
Ce travail s’inscrit dans la continuité des recherches consacrées à la littérature lesbienne et à ses représentations, contribuant à une meilleure reconnaissance de ces écritures de soi et du monde.

I. Écrire le corps, écrire l’identité : l’autofiction comme manifeste

Les premières décennies du XXI siècle ont vu se multiplier les récits d’autofiction dans lesquels la subjectivité lesbienne devient un espace de création et de revendication.

Nina Bouraoui – Garçon manqué (2000)

Dans cette œuvre emblématique, l’autrice explore l’enfance et l’adolescence d’une narratrice tiraillée entre Alger et Paris. Entre deux langues et deux cultures, elle découvre la complexité du genre et du désir. L’écriture, dense et poétique, exprime le tiraillement entre identité nationale, appartenance religieuse et éveil de la sexualité.

Nina Bouraoui – Tous les hommes désirent naturellement savoir (2018)

Le roman s’organise en trois temps : « Se souvenir », « Devenir », « Savoir ». À travers ces chapitres, l’auteure revisite son enfance en Algérie, son adolescence en Bretagne et sa jeunesse parisienne. Le récit met en lumière l’écriture comme acte fondateur : c’est par les mots que la narratrice devient pleinement elle-même, en affirmant son identité lesbienne.

Fatima Daas – La Petite dernière (2020)

Fatima se définit par fragments : musulmane pratiquante, lesbienne, fille de banlieue. Son texte, composé de courts chapitres, épouse la forme d’une prière interrompue. L’autrice interroge la possibilité de concilier foi et homosexualité, tradition et désir, identité sociale et intime. Une écriture brute et sincère, véritable manifeste de la pluralité des identités.

Constance Debré – Play Boy (2018)

Abandonnant mari et enfant, la narratrice entreprend une métamorphose radicale : elle coupe ses cheveux, tatoue son corps, assume ses relations féminines. Ce récit d’émancipation questionne la maternité, la sexualité et les limites du féminisme, à travers un style sec et tranchant, à la croisée du journal et du pamphlet.

Constance Debré – Love Me Tender (2020)

Face à la perte de la garde de son fils après avoir révélé son homosexualité, Debré choisit une vie ascétique : lecture, natation, solitude. Le roman décrit une quête de liberté absolue, entre douleur et dépouillement.

Constance Debré – Nom (2022)

Dans ce troisième opus, l’autrice poursuit son entreprise de désidentification : rejet du mariage, de l’aristocratie, du statut d’avocate. Devenir « Personne » devient un acte de résistance. Ce récit d’errance poétique évoque Ulysse autant que Rimbaud : une odyssée intérieure vers le vide.

Tal Piterbraut-Merx – Outrages (2021)

Ici, la narratrice revient dans sa cité d’origine pour un repas de famille. Ce retour provoque une remontée de souvenirs : adolescence marquée par la grossophobie, l’antisémitisme et la lesbophobie. Une œuvre coup de poing où s’entrelacent identité, mémoire et réconciliation.

Marie-Ève Lacasse – Autobiographie de l’étranger (2020)

Arrivée du Québec, la narratrice se sent constamment en décalage dans la société française. L’écriture devient un abri, un moyen d’habiter l’exil et la différence. C’est une méditation sur la marginalité, la littérature et la survie par le langage.


II. L’amour, la passion et la perte : récits d’attachements et de ruptures

Si la littérature lesbienne s’ancre souvent dans la quête identitaire, elle s’épanouit aussi dans le territoire de l’amour : passionnel, douloureux, parfois destructeur.

Pauline Delabroy-Allard – Ça raconte Sarah (2018)

Une institutrice tombe éperdument amoureuse de Sarah, violoniste magnétique. Leur histoire, fulgurante et tragique, traverse le corps, la maladie, la fuite et la mort. L’écriture rythmée traduit l’urgence du désir et la brûlure de la passion.

Virginie Despentes – Apocalypse Bébé (2010)

À travers l’enquête de Lucie et de la redoutable Hyène, Despentes fait surgir l’amour lesbien comme une révélation identitaire. Sous couvert de polar, le roman explore la violence sociale et l’attirance subversive, révélant une France en crise.

Jocelyne de Pass – L’Amant(e) (2019)

Dans un style à la fois charnel et introspectif, l’autrice raconte la découverte de l’amour entre deux femmes et la libération qui en découle. Mais l’amour y apparaît aussi comme une force violente, ambivalente, où passion et souffrance s’entrelacent.

Albane Linÿr – J’ai des idées pour détruire ton égo (2019)

Léonie, jeune femme désabusée, se remémore son premier amour, Angela, disparue depuis dix ans. L’obsession la pousse à reprendre la route. Un roman sur le désir, la vengeance et la mémoire.

Albane Linÿr – Et après les gens meurent (2022)

Eulalie, orpheline, vit entre Barcelone et Paris, cherchant un père absent. L’amour, l’abandon et la mort se croisent dans un récit générationnel marqué par la fuite et la mélancolie.

Agnès Vannouvong – Après l’amour (2013)

La narratrice, après avoir quitté sa compagne Paola, multiplie les aventures féminines à travers le monde. Derrière la légèreté apparente, se cache la quête d’un sens profond au désir.

Agnès Vannouvong – Gabrielle (2015)

Une femme mûre rêve de maternité et rencontre Hortense, plus âgée, déjà mère. Le refus d’enfant et le désir d’aimer s’opposent : le roman interroge les tensions entre amour et parentalité.

Agnès Vannouvong – La Collectionneuse (2019)

Frédérique, détective privée, enquête sur la disparition d’une femme. Cette quête policière devient une introspection sur le désir féminin et la solitude, dans une atmosphère sensuelle et cosmopolite.

Léonor de Récondo – Amours (2015)

En 1908, dans le Cher, une bourgeoise et sa domestique tombent amoureuses. Leur passion brise les barrières de classe et de genre. Un texte d’une grande douceur, où l’intime rejoint la lutte sociale.


III. Héritages et filiations : mémoire, transmission, militantisme

Pauline Gonthier – Les Oiselles sauvages (2021)

Deux récits s’entrelacent : celui de Madeleine, militante des Gouines rouges dans les années 1970, et celui de Mathilde, journaliste contemporaine en questionnement. Le dialogue entre générations interroge les héritages féministes et la filiation politique.

Danièle Saint-Bois – Trois Amours de ma jeunesse (2018)

Entre souvenirs des années 1960-70 et époque contemporaine, la narratrice retrace ses trois grandes histoires d’amour avec des femmes. C’est une chronique des désirs et des résistances face à une société hétérocentrée.

Anne de Bascher – Alba (2008)

Une saga qui traverse la guerre, la Résistance et la vie artistique d’après-guerre. À travers des héroïnes fortes, l’autrice peint des destins féminins ancrés dans l’histoire et la passion.

Marie-Ève Lacasse – Peggy dans les phares (2017)

Portrait fascinant de Peggy Roche, amante de Françoise Sagan. Le roman mêle biographie et fiction pour restituer la passion tumultueuse entre deux femmes dans le milieu littéraire des années 1970.

Françoise Cloarec – J’ai un tel désir (2018)

Récit biographique de la relation entre la peintre Marie Laurencin et la couturière Nicole Groult. L’amour s’y écrit comme un acte d’émancipation dans le Paris des avant-gardes artistiques.

Chantal Thomas – Les Adieux à la reine (2002)

À travers le regard d’Agathe-Sidonie, lectrice de Marie-Antoinette, l’autrice évoque l’attachement presque mystique de la narratrice à la reine. Le texte questionne fascination, pouvoir et désir dans le tumulte révolutionnaire.


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IV. Le politique et le poétique : corps queer et dystopies

Wendy Delorme – La Mère, la Sainte et la putain (2012)

Ce texte hybride s’adresse à un enfant à naître et entrelace souvenirs, performances et réflexions sur la maternité queer. L’autrice y évoque les nuits militantes et les identités fluides, dans une prose à la fois lyrique et corporelle.

Wendy Delorme – Viendra le temps du feu (2021)

Dans une France autoritaire, six personnages queer résistent à un régime fascisant. Ce roman dystopique est un cri d’alerte : l’amour et la sororité deviennent des armes politiques.

Wendy Delorme – Le Corps est une chimère (2018)

Sept personnages aux identités diverses explorent leurs désirs et leurs parentalités. Ce roman polyphonique aborde la fluidité du genre et la recomposition familiale avec audace.

Wendy Delorme – Quatrième Génération (2007)

Une fresque transgénérationnelle qui mêle autobiographie et manifeste féministe. De Paris à San Francisco, l’autrice y raconte quatre générations de femmes et la transmission du combat queer.

Béatrice Cussol – Sinon (2007)

Un univers baroque, peuplé de figures féminines extravagantes : cow-girls, serveuses, artistes. L’écriture picturale, presque surréaliste, évoque le cinéma, le rêve et l’amour entre femmes avec humour et sensualité.

Wendy Delorme – La Mère, la Sainte et la putain

(reprise volontaire dans le corpus pour cohérence analytique)
Cette œuvre illustre la manière dont l’autrice conjugue érotisme et réflexion politique : un texte-clef dans la redéfinition du récit queer.


V. La mémoire, la perte et la création : écrire pour ne pas disparaître

Chantal Akerman – Ma mère rit (2013)

Dans ce texte autobiographique, l’artiste évoque sa mère, la peur de la perdre, la vie de couple et la création. L’écriture y devient montage, entre cinéma et littérature, entre rire et désespoir.

Céline Minard – So long, Luise (2011)

Dernier testament fictif d’une romancière, ce texte poétique entrelace souvenirs d’amour, paysages suisses et introspection. L’œuvre célèbre la puissance salvatrice du langage.

Nina Bouraoui – La Vie heureuse (2002)

Marie, seize ans, découvre pour la première fois l’amour féminin. Le roman capture l’élan adolescent, la confusion et la lumière de la jeunesse.

Nina Bouraoui – Poupée Bella (2004)

Entre journal et fiction, l’auteure mêle voyages, désirs et souvenirs. L’amour y devient moteur de l’écriture, chaque mot prolongeant la chair.

Nina Bouraoui – Mes mauvaises pensées (2005)

Sous forme de monologue ininterrompu, la narratrice revisite enfance, psychanalyse et homosexualité. La langue se fait confession, proche d’une séance d’analyse.

Ann Scott – Superstars (2000)

Immersion dans la scène nocturne lesbienne du Paris des années 1990 : bars, clubs, musique. Une œuvre sensorielle, entre errance et liberté.

Ann Scott – Poussières d’anges (2002)

Recueil de fragments dédiés aux disparus. La narratrice évoque la perte et la mémoire, mêlant hommage et douleur.

Ann Scott – Héroïne (2005)

Une passion toxique entre deux femmes, où l’amour devient dépendance. Le texte explore la frontière entre désir et destruction.


VI. Villes, espaces, exils : entre ancrage et déracinement

Ananda Devi – Indian Tango (2007)

À Delhi, une écrivaine occidentale rencontre Bimala, épouse soumise à un mari autoritaire. Entre elles naît une passion silencieuse, transgressive. Le roman, d’une sensualité vibrante, évoque l’émancipation et la solitude des femmes.

Alice Baylac – Colza (2022)

Colza quitte sa campagne pour la ville, découvre les bars queer et la nuit toulousaine. L’autrice décrit la quête identitaire d’une « gouine urbaine », confrontée à la violence mais animée par la soif de liberté.

Anne Berest – Recherche femme parfaite (2015)

Emilienne, photographe, part à la rencontre de femmes « parfaites » pour un projet artistique. Derrière la quête esthétique, se dessine une réflexion sur les stéréotypes féminins et le désir.


VII. Entre enquête et fiction : jouer avec les genres

Cécile Vargaftig – Fantômette se pacse (2006)

Roman hybride entre polar, autofiction et satire médiatique. Une autrice et une productrice préparent un film lesbien, mais les frontières entre réalité et fiction se brouillent lorsqu’un meurtre survient. Le texte explore la mise en abyme du récit et la création artistique.


VIII. Synthèse : formes, enjeux et résonances

Ce vaste ensemble d’œuvres illustre la richesse d’une littérature qui ne cesse de se réinventer.
Les thématiques principales s’articulent autour de :

  • L’identité et la mémoire (Bouraoui, Daas, Akerman) : écrire pour se construire, pour exister dans un monde où l’hétéronorme domine.
  • Le corps et le désir (Debré, Delabroy-Allard, Vannouvong) : dire la passion, la sensualité, la blessure.
  • La filiation et la transmission (Gonthier, Saint-Bois, Lacasse) : comprendre d’où l’on vient pour mieux s’inventer.
  • La résistance et le politique (Delorme, Cussol, Piterbraut-Merx) : affirmer que l’amour et la création sont des formes d’insoumission.

Ces textes, issus d’autrices aux parcours variés, constituent un champ littéraire désormais incontournable.
Ils montrent que la littérature lesbienne n’est pas un sous-genre, mais un espace de renouvellement pour la littérature française tout entière.
Elle bouleverse les codes du roman, du féminin et du langage, et invite à penser autrement la subjectivité, la société et la liberté.


IX. Une littérature en dialogue

Cette production contemporaine s’inscrit dans une continuité historique. Elle prolonge les voix de Violette Leduc, Monique Wittig ou Mireille Best, tout en ouvrant de nouvelles perspectives, plus intersectionnelles, plus inclusives, plus conscientes des rapports de pouvoir.
À travers ces œuvres, les écrivaines lesbiennes se réapproprient leur histoire, leur corps et leur imaginaire. Elles s’inscrivent aussi dans le mouvement plus large d’une littérature LGBT qui brille au cœur de la diversité : un espace de création qui lie la beauté du geste artistique à la puissance du politique.


Conclusion

De Garçon manqué à Les Nuits bleues, de La Petite dernière à Viendra le temps du feu, la littérature lesbienne française du XXI siècle compose un paysage d’une intensité rare.
Ces récits racontent des femmes qui écrivent, aiment, doutent, s’affirment et se révoltent.
Ils parlent de solitude, de désir, de filiation, mais aussi de joie, de communauté et d’avenir.
En brouillant les frontières du genre littéraire, ces autrices redéfinissent la place du féminin et du queer dans la culture française.
Leur œuvre collective constitue un manifeste vivant de liberté et de complexité — une littérature de chair, d’encre et de lumière.

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